Belauror

Krall marchait tranquillement sur la route en compagnie du marchand et des deux chevaux… La journée n’était pas vraiment laide et le bord du fleuve se laissait apprécier. Autant le dire, par un aussi beau temps c’était un plaisir que de voyager… Mais ça ne rassurait pas vraiment le jeune homme, en effet, même si les voleurs aimaient en général agir sous le couvert de la nuit en ville, puisque l’obscurité leur permettait de se cachés, ça ne devait pas être la même chose au dehors. Justement, s’il faisait beau et qu’il était agréable de voyager alors sans doute était-ce le jour où les brigands travaillaient le plus, puisqu’ils avaient plus de victime à portée de main… A moins bien entendu que la chose ne représente un risque puisque ça signifiait aussi qu’ils avaient plus de chance de se faire surprendre par une caravane protégée alors qu’ils accomplissaient des méfaits sur des paysans. Le jeune homme ne savait pas vraiment et bientôt il abandonna ces pensées. Ils étaient tous les deux des citadins, ne savaient pas trop ce que c’était de voyager, le seul endroit qu’ils connaissaient autrement qu’en récit à part Muni’Mura c’était Belauror, le village dans lequel ils se rendaient. On remarquait vite l’endroit du fait des champs qui l’entouraient, en effet, une fois qu’on bifurquait vers le Sud en longeant la rivière, on remarquait que les sentiers se paraient de petits renflements permettant de délimiter les parcelles afin de mieux les distinguer. Il fallait cependant encore marcher un moment avant d’arriver devant les maisons misérables des paysans et la celle, en bois, du bailli. Le jeune homme écouta son camarade commerçant et sourit en guise de réponse. Il avait bien compris son rôle et ça ne le dérangeait absolument, il savait n’avoir aucun talent pour parler, et il avait remarqué qu’il commençait à en avoir pour frapper, aussi cela ne le dérangeait-il absolument pas de prendre l’emploi de brute qu’on lui proposait. Il avança avec détermination à l’intérieur du village, bien décidé à aller de l’avant sans se laisser surprendre cette fois-ci. Le jeune homme se demandait si le nouveau bailli était plus amical et moins manipulateur que le dernier… Il le saurait sans doute assez tôt, tenant toujours son cheval par la bride, il restait attentif à tout ce qui l’entourait. Qui sait ce qui pouvait l’attendre ici ? Après tout il ne connaissait absolument pas les habitants de cet endroit ? Si jamais les gens aimaient leur ancien bailli, ils seraient très mal accueillis, il en serait de même s’ils les prenaient pour des créanciers qui viendraient leur soutirer un impôt. A vrai dire ça ne risquait sans doute pas grand-chose, étant donné la manière dont ils étaient habillés, il aurait été fort difficile de les prendre pour autre chose que des pauvres gens qui tentent de sortir de leur situation… Et peut-être était-ce là la chose qui les rapprocher le plus d’eux. Il n’en savait trop rien et à vrai dire ça ne l’intéressait pas en cet instant. En effet, il préférait observer les alentours au cas où quelqu’un viendrait à les attaquer par surprise. D’ailleurs sans même s’en apercevoir lui-même, sa main libre s’était posée sur la pioche qu’il portait à la taille, attachée par une lanière de cuir à sa ceinture.

Krall observa l’homme de façon direct, cherchant son regard plutôt qu’à détailler sa carrure… C’était toujours le mieux lorsqu’on se trouvait face à quelqu’un d’imposant, ainsi on se confrontait à son esprit et non à son corps. Tout du moins c’était ainsi que le fils de forgeron ressentait les choses. Il s’avança de quelques pas dans sa direction alors qu’ils s’adressaient à eux, un peu comme s’il voulait s’assurer de pouvoir l’intercepter si jamais il s’en prenait au marchant. En fait, l’aspirant mercenaire cherchait avant tout à paraître imposant et c’était en agissant comme un homme sûr de lui qu’il y arriverait. Le regard toujours planté sur le visage de l’homme qui était venu les accueillir et qui pouvait être le bailli, il restait immobile. L’immobilité était souvent vu comme quelque chose de froid et de très peu naturel, ce qui faisait que ça avait le don d’impressionnait nombre de personnes… Dont Krall lui-même, et à vrai dire s’il avait observé autre chose que le visage de cet homme, sans doute aurait-il était moins courageux. Mais il avait tendance à oublier que lui aussi commençait à avoir une certaine carrure, car même s’il ne paraissait pas bien robuste ses muscles étaient parfaitement dessinés à présent et laisser bien voir qu’il était capable de quelque chose au combat. Droit comme une colonne soutenant un édifice, il était en train d’assister la prestance du commerçant qui l’avait engagé. Après tout, si l’autre sentait qu’il était autant en infériorité physique qu’intellectuel, il serait sans doute plus prompt à payer ce qu’on lui demanderait. Il ne pourrait pas bénéficier d’une quelconque stratégie d’intimidation qui aurait été possible si le marchand avait été seul. Finalement l’emploi de Mercenaire ne constituait sans doute pas qu’à se battre mais aussi à faire comprendre qu’on était capable de se battre. Leur rôle était autant la défense directe que la dissuasion. S’il avait été voleur, Krall aurait sans doute hésité plus d’une fois avant de s’attaquer à un homme qui était accompagné par un homme en arme… Mais il ne fallait pas vendre la peau de l’ours si rapidement, après tout il n’était pas encore un homme en arme à proprement parler. La seule chose qui lui permettait de frapper pour le moment était la pioche qu’il avait sûr le côté. Ce n’était rien comparé à une arme de guerre comme une hache ou un sabre. Il s’en rendait bien compte et ne faisait pas trop le fier, bien conscient que les choses pouvaient tourner très mal pour lui si jamais il se trouvait face à quelqu’un de vraiment doué pour le combat, contrairement aux hommes qu’il avait tués la dernière fois qu’il était venu à Belauror. L’adolescent n’en restait pas moins immobile, fixant toujours cet inconnu qui les avait accueilli dans le but de lui montrer qu’il n’avait pas peur de lui. Une chose qui n’était du qu’à la volonté du jeune homme de ne pas trop détailler son allure pour le moins impressionnante. Après tout c’était un Glarne, et ils étaient connus pour être plus fort que la moyenne. Le Somte croisa tranquillement les bras tout en laissant son camarade parlait pour eux. C’était lui qui s’occuperait de marchander, il le savait bien. L’emploi de Krall était celui de brute et pas celui de négociateur, c’était évident.

Lorsque l’homme se présenta, Krall en fit autant suite à quoi il ne prononça pas un seul mot, au contraire de son camarde. Ayant prit place et ayant accepté de boire un peu de bière, la boisson la plus à même d’être consommé en dehors de la ville, là où il était plus difficile de trouver de l’eau et où l’alcool permettait bien souvent de trouver chaleur et réconfort. Il était assez étrange de voir qu’à l’inverse, c’était en ville que les gens en abusés le plus, car même si ici on en buvait plus fréquemment, c’était moins souvent à l’excès. Il but doucement de cette bière fraîche qui le ravit suite à la marche qu’il avait faite et sa nature revint au galop. Il inclina la tête en avant et remercia poliment son interlocuteur. Totalement incapable de garder son immobilisme froid de tout à l’heure. Il ne fit mine de rien mais se fustigea intérieurement d’être aussi vite rappelé à sa nature délicate. L’adolescent laissa les deux interlocuteurs s’élançait dans le commerce, lui n’y connaissait pas grand-chose, aussi préférait-il retrouver une attitude tacite qui le privait de dire des âneries. Une chose qu’il avait appris bien des années auparavant et qui lui avait souvent permis de garder une certaine distance avec les gens, ce qui l’empêchait d’être trop affecté par leurs dires et leurs actes. A vrai dire la personne avec qui il avait le plus parlé ces trois derniers mois… C’était bien Delari. Celui-ci était en fait tellement prompt à prendre la parole et à la garder qu’il était difficile de rester muet en sa compagnie. Krall se sentait légèrement rassuré par ce flot continu de parole, ça lui permettait de s’ouvrir un peu, d’émettre des opinions, chose qu’il ne se permettait pas avec les personnes aussi peu bavardes que lui. Cependant, le jeune homme ne pouvait s’empêcher de penser que Dyrwenth parlait trop… Oui, il n’arrêtait pas, un peu comme un oiseau qui une fois qu’il avait entamé son chant ne pouvait s’empêcher de le finir. Dans ses pensées, le jeune homme n’écoutait pas vraiment ce que les deux autres se disaient, il commença même à observer les alentours pour voir si rien de suspect ne s’y trouvait. Le petit récipient qui était dans la casserole commençait à sentir drôlement bon et l’adolescent ne put s’empêcher de reprendre une petite gorgée de bière fraîche… En observant l’endroit, il ne pouvait s’empêcher de penser à l’ancien bailli, renversant brusquement la table pour leur ouvrir la trappe qui se trouvait derrière, près du mur, celle qui permettait d’accéder à la cave. Il se souvint aussi la façon dont il l’avait poussé à l’intérieur avant de le suivre. Finalement le village avait beaucoup gagné au change. Rabard semblait être quelqu’un de droit et de généreux. Le voir offrir de la nourriture a des citadins était bien la preuve qu’il avait une certaine éducation, une chose qui plu beaucoup au mercenaire. Il posa de nouveau son regard sur le visage du paysan, il ne cherchait pas à le retenir, simplement à lui montrer qu’il avait les yeux sur lui. Krall doutait d’être vraiment impressionnant, à vrai dire il pensait même ne pas l’être… Mais bon, il avait bien réussi à mettre à mal les hommes qui s’en étaient pris à lui, alors pourquoi n’agirait-il pas comme un combattant sérieux ? Il ne voulait pas paraître menaçant, juste bien présent, de façon à ce que l’homme n’oublie pas que son ami était défendu. Bizarrement ça lui parut de plus en plus ridicule, le paysan apparaissant comme de plus en plus amical au fur et à mesure que l’odeur de nourriture se répandait dans la salle.

Le jeune Somte observait toujours l’échange. De toute évidence le Glarne n’avait pas envie de marchander et en un rien de temps l’affaire fut conclue. Delari parla un instant d’une idée de caravane que le mercenaire nota sans pour autant lui demander de développer, restant muet comme le voulait sa fonction. Il observa l’homme aux grandes dents manger un morceau, puis il vit la soucoupe de bois s’avancer vers lui de manière forte tentante et ne put s’empêcher de prendre un morceau de pain cuit dans le lard et le jambon. Il savoura cette délicieuse sensation à la fois savoureuse et salée qui emplissait sa bouche. Véritablement, ce Glarne savait comment allier les choses simples pour en faire des mets délicieux ! Assurément, il avait reçu l’idée de quelqu’un d’autre ou avait du tester de nombreuses préparations. Mais bon, le jeune homme aurait parié sur un petit savoir de famille, c’était souvent ainsi que ce genre de connaissance se transférer. Il mâcha avec force et tranquillité son morceau de pain, fermant même un instant les yeux juste avant de l’avaler. Puis sans gêne il lécha tranquillement ses doigts. Alors il observa la suite des évènements. Rabard s’était dirigé vers la trappe, rappelant au jeune homme tout ce qui c’était passé à l’intérieur. Inconsciemment il posa la paume de sa main contre la tête de la pioche qu’il portait toujours, prêt à la brandir si jamais quelque chose de dangereux arrivait… Mais rien n’arriva, bien heureusement. Il se retint de pousser un soupir de soulagement et écarta ses doigts de l’outil tout en observant le petit garçon qui s’était extirpé du trou. Etrangement l’enfant semblait tout à fait à même de compter, et à voir la façon dont les choses se déroulaient, il se demandait si le bailli en fonction en était lui aussi capable. S’ils avaient décidés de prendre un homme qui connaissait les champs, le Saint Conseil n’avait pas forcément privilégié l’instruction. Bientôt son camarade se tourna vers lui et discrètement, comprenant pourquoi, Krall fit descendre l’acte de propriété de son habit et le tendit comme si de rien n’était vers le marchand. Celui-ci les donna alors à l’enfant. Sans faire le moindre commentaire, le mercenaire se dit que le plus érudit des deux habitants de Belauror qu’il avait devant lui était sans doute le plus jeune. En effet, que celui-ci soit dans une cave plutôt que dans les champs montrait qu’il n’était pas traité de la même manière que les autres enfants. Et si cet homme pouvait travailler aux champs c’était sans doute qu’il n’avait pas à s’occuper des documents propres à l’endroit. En ce cas cet enfant était même plus intelligent que Krall, qui, bien que capable de compter, n’avait jamais sut lire et encore moins écrire. C’était là une chose qui lui paraissait fabuleuse lorsqu’il voyait un adulte le faire, alors qu’un enfant en soit capable, c’était véritablement merveilleux. Il ferma sa bouche alors que celle-ci c’était légèrement entrouverte de surprise et fixa de nouveau l’adulte plutôt que l’enfant tout en contractant un peu ses muscles pour le faire ressortir. Autant qu’il n’ait pas l’air trop surpris non plus, passer pour un imbécile n’était jamais appréciable, même lorsqu’on ne basait pas sa carrière sur son intelligence. Krall refusa gentiment qu’on lui resserve de cette bière qui lui plaisait pourtant beaucoup, il ne tenait pas à boire trop, l’alcool étant parfois traître même lorsqu’il n’était pas trop fort. Durant un instant il repensa à son enfance alors qu’il était encore un gamin insouciant. Il courrait dans la maison après sa sœur aînée et l’avait même surprise une fois en train de boire du vin en cachette. Il se souvenait l’avoir vu devenir malade et se vit même lui quelques années plus tard, tout aussi malade sinon plus à cause de la gnole qu’avait apporté un voisin pour le faire boire pour la première fois. Il regarda ce petit si intelligent et n’arriva pas à se retrouver en lui. De toute évidence les choses ne seraient pas les mêmes pour lui, il serait sans doute bailli de ce village d’ici quelques années, s’il ne trouvait pas une meilleure place encore grâce à son talent pour lire et écrire ! Il enviait un peu ce jeune homme mais n’y pouvait trop rien. Il finit par lui sourire poliment alors que son camarade venait de lui donner les papiers. Alors Delari ne buvait pas d’alcool, et bien voilà une chose qu’il apprenait sur lui… Enfin. A vrai dire il ne connaissait pas grand-chose de ce commerçant qui l’avait engagé en tant que mercenaire. Mais d’un autre côté lui non plus ne savait pas grand-chose sur lui. En effet, Krall ne disait pas grand-chose sur son passé, mais qu’aurait-il bien put dire ? Bonjour, je suis l’enfant de deux artisans, je ne sais rien faire de mes dix doigts et mon père me traite comme un moins que rien en conséquence. Je n’ai jamais eu le moindre talent ni la moindre chance et j’aimerai devenir un combattant alors que je suis maigrichon. Je ne plais pas aux femmes et je suis si timide que je me crispe dès que l’une d’elle me touche. Je suis pitoyable et j’en ai parfaitement conscience, veux-tu être mon ami ? Il manqua de soupirer alors qu’il pensait ces quelques phrases. Non, ça ne servait à rien. Ils n’avaient pas à se parler l’un de l’autre, non, c’était parfaitement inutile. Ils savaient l’essentiel, ensemble ils arrivaient à bien gagner leur vie et ça risquait de continuer pendant un certain temps, alors pourquoi chercher plus loin ? Les chevaux étaient vendus, ils avaient de l’argent et pas d’ennui particulier. La seule chose qui dérangeait vraiment Krall c’était la perspective de restait ici trop longtemps et de devoir choisir entre rentrer de nuit ou dormir là. Il restait cependant muet, toujours taciturne afin de laisser à son compagnon l’entière disponibilité du choix quant à la suite des évènements. Cependant Veinefer n’avait vraiment pas envie de rester et devait se retenir pour ne pas le faire savoir au commerçant car ça aurait été malpoli et que Rabard se trouvait être incroyablement sympathique.

Le jeune homme se leva tranquillement tout en observant avec attention le petit garçon qui repartait par la trappe d’où il était sorti un peu plus tôt. Puis il se tourna vers le paysan et lui sourit en guise d’au revoir, y ajoutant un léger mouvement de tête reconnaissant. Ainsi il espérait éviter que celui-ci ne se sente insulter qu’un homme vienne manger à sa table avant de repartir aussitôt sans dire au revoir. A bien y réfléchir, le Glarne n’avait pas du réfléchir longtemps, sachant que son village irait de mal en pie sans moyen de locomotion, il n’avait pas hésité un instant à acheter les chevaux au prit où les lui proposait. De plus les bêtes de sommes seraient utiles lorsqu’il faudrait labourer les champs afin de les ensemencer. Et puis le marchand lui avait fait un joli rabais, sans doute parce qu’ils avaient obtenu les chevaux gratuitement et qu’ils n’en auraient eu aucun usage. Peut-être qu’ils auraient put en tirer un meilleur prix, mais peut-être alors leur aurait-il refusé le marché. Krall ne se voyait pas être commerçant, proposer un prix tout en sachant qu’on risquait de le voir diminuer et avoir en même temps peur de mettre la barre trop haut, ce qui aurait eu pour conséquence d’empêcher la vente. En effet, il voyait mal un vendeur imposait un prix puis le rectifier en voyant son acheteur partir parce qu’il n’avait pas les moyens. Ca mettait dans une position de faiblesse peu propice au bénéfice. Au moins, ce bénéfice-là était total puisqu’il n’avait pas acheté la marchandise qu’il avait vendu. On pensait souvent que les marchands gagnaient leur vie sur le travail des autres, mais c’était sans penser à tout le travail qu’ils devaient faire pour tisser les contacts qui leurs permettaient de faire les meilleurs affaires et en conséquence de gros bénéfices. En effet, s’il n’avait été là pour arrêter le bailli et s’il n’avait pas récupérer les chevaux lui-même comment aurait-il put savoir que quelqu’un l’attendrait ici, près à acheter deux chevaux sans se poser de question ? C’était une affaire de chance mais aussi de contact. Lui ne voulait pas d’une vie comme celle-ci, il voulait des choses simples, évidents et bien déterminées. Comme le combat, c’était quelque chose qui semblait incroyablement simple, il suffisait de vaincre, même si beaucoup de choses entraient en compte. Alors que commercer, c’était beaucoup plus subtil, il y avait une multitude de petits buts qui venaient avec la recherche du bénéfice financier. La recherche du pouvoir, le tissage du réseau de connaissances, la manipulation, l’alliance, ce genre de choses qu’un mercenaire n’avait pas besoin de connaître, lui dont les seules fonctions étaient de protéger et d’attaquer. Un paradoxe assez éloquent d’ailleurs que celui du guerrier qui tue pour éviter qu’on ne tue… Une belle chose qu’il trouvait presque poétique. Le devoir de faire subir pour éviter que quelqu’un ne subisse. Oui, il y avait du mélancolique là-dedans et pourtant tellement d’énergie. C’était cette énergie que recherchait le jeune homme. Une fois arrivé dehors, il prit tranquillement son dû et le plaça dans une sacoche de tissu qu’il accrocha son sa tunique tout contre son ventre. Il remercia brièvement son employeur puis observa les alentours.

"Partir en ville est risqué, mais rester ici ne me fait vraiment pas envie…"

Il resta silencieux tout en caressant doucement la tête de la pioche qu’il avait à son côté, attendant de savoir ce qu’en pensait son interlocuteur.

Acquiescer… C’était sans doute l’une des choses que ce fils de forgeron faisait le plus souvent. Oui, il hochait benoîtement la tête afin de montrer qu’il était d’accord avec son interlocuteur sans avoir besoin de dire le moindre mot. C’était la simplicité même, pas de discours, pas de doute, rien de tout ça, juste un mouvement du chef qui offrait une réponse clair et précise à une personne qui attendait de connaître son opinion. Lorsqu’on y pense c’est bien le meilleur moyen de communiquer : le corps. Ca évite les mal entendu bien souvent, on confond rarement une expression de tristesse et une expression de joie. Oui, le sourire, les pleurs, les mains, c’était souvent sans émettre le moindre son qu’on était le plus éloquent. Eloignant ces petites pensées de son esprit, Krall entama une marche plus rapide. A vrai dire ce qui l’inquiétait le plus ce n’était pas la nuit, c’était la possibilité de tomber face à une force armée… Mais plus armée que de simples outils, des gens avec des arcs notamment. Oui, que faire face à quelqu’un qui était apte à vous blesser sans même être à porter de bras ? Il pouvait essayer de courir à l’abri, ceux-ci étant accessibles lorsqu’une personne ne pratiquait pas le corps à corps, mais alors que faire face à quelqu’un qui connaissait bien le terrain ? Car c’était bien là le plus gros souci, si la personne connaissait l’endroit et qu’elle vous prenait pour cible, alors elle savait où vous étiez susceptible de vous cacher. De fait, elle en devenait particulièrement redoutable. Il ne fallait pas qu’il y pense trop, la peur n’arrangeait rien aux affaires d’un homme en arme. Rester attentif, c’était là la clef, il fallait qu’il arrive à se rendre compte d’un danger imminent. C’était donc en regardant avec attention la route ainsi que le terrain qui la bordait qu’il tentait de desceller la présence hostile d’un groupe ou d’une personne quelconque. Comment faire si jamais il était attaqué par une troupe de bandit ? Donner tout ce qu’il avait en espérant survivre ? Il espérait que ça n’arriverait pas. En effet, abandonné la petite fortune, qu’il avait réussie à obtenir en étant au service des Dieux, serait une véritable déception. La preuve qu’il se trompait de voie. Non, les Dieux ne lui feraient pas ça, ils ne le priveraient pas du peu de choses qu’ils lui avaient donnés. Il avançait avec détermination, ses pas accrochant bien au sol, comme s’il était en train de grimper une montée. Il bandait les muscles comme s’il voulait impressionner un adversaire invisible. Le jeune homme avançait avec le plus de détermination possible. Arriver avant la nuit, tel était leur but, leur nouvelle mission. Une question de survie en somme, atteindre un lieu sûr avant d’être prit pour cible par des voleurs. Il espérait qu'il avait bien fait de suivre les conseils de son compagnon.

Le jeune homme continuait d’avançait avec détermination. Rejoindre au plus vite la ville était une question de sûreté, sinon une question de survie. Il ne fallait pas rester sur la route une fois la nuit tombée, c’était à cet instant là qu’on était le plus vulnérable et que les bandits attaquaient sans avoir à craindre de véritables représailles. Il était même difficile de les identifier et donc de pouvoir se venger si jamais d’aventure on venait à les croiser de nouveau. L’adolescent en était persuadé, c’était la nuit qui était leur plus grande ennemie en cet instant. Mais le temps décida de lui donner tord en lâchant sûr eux ses éclairs et ses nuages. En un instant, la lumière laissa place à l’obscurité, la tranquillité laissa place au danger. Il imaginait mal des hommes sortirent par un temps pareil dans le simple but de nuire à des voyageurs, mais que pouvait-on vraiment imaginer des bandits lorsqu’on ne les avait jamais connu ? D’après l’image qu’en dépeignait habituellement les gens, ces personnes ne reculaient devant rien, tels des animaux… Et en parlant d’animaux voilà qu’une silhouette apparaissait, dressée sur ses quatre pattes, depuis le bord de la route jusqu’au milieu de celle-ci. Le jeune homme s’arrêta par prudence, bien qu’il ne s’inquiétait que peu d’être attaquer par un seul animal. Un bon coup de pioche devrait avoir raison d’une bête enragée… Mais le canidé ne semblait pas leur vouloir de mal au premier abord, il ne les regardait pas et ne se dirigeait pas vers eux. Puis brusquement l’horreur apparut dans la descente brutale d’un éclair depuis les cieux. Le jeune homme avait déjà entendu parler de personnes touchées par la foudre, on lui avait dit que c’était mortel, et non pas le déclencheur d’une métamorphose… Il déglutit difficilement tout en voyant les muscles de la bête croître et croître encore. Sa peau se déchirait, ses yeux se noyaient dans la masse musculaire, dans un spectacle effrayant elle cracha un torrent de sang avant de se tourner vers eux avec sa tête aveugle. Krall sentit qu’il était prêt à défaillir… Mais bizarrement ses jambes ne se dérobèrent pas. Non, en un instant sa pensé reprit le dessus sur l’horreur, il se redressa et observa avec attention la bête. Toute personne qui a déjà couru après un chat ou qui a été poursuivi par un chien sait sans aucun mal que les animaux sont bien souvent plus rapide que nous. Même lui qui était Somte avait toujours eu des difficultés à rattraper un félin qui avait peur de lui. Fuir serait une très mauvaise idée, mais que pouvait-il vraiment espérait faire face à une telle montagne de muscles ? Il serra les dents, assez peu rassuré par l’idée d’affronter une telle créature mais incapable de se décider à fuir, ce qui était toujours à ses yeux le meilleur moyen de mourir. Soudain son camarade se mit à parler, il l’écouta sans quitter la bête des yeux. L’odorat, ce n’était pas la seule chose qui était développé chez les animaux, l’ouïe l’était aussi. Le jeune homme ne savait trop comment agir, il n’avait jamais été chasseur et encore moins tueur de loup. Et cette chose était-elle encore véritablement un loup ? Il en doutait. Delari indiquait qu’il ne fallait pas laisser une telle abomination parcourir le Saint Empire impunément. Il n’était pas tout à fait contre cette idée, mais sa puissance lui paraissait bien dérisoire face à celle de cette bestiole. Il ferma les poings avec fermeté et se plaça bien devant Dyrwenth comme dans l’espoir de le protéger. Krall ne savait pas exactement pourquoi il s’intéressait à la survie du jeune marchand. A vrai dire c’était un véritable mystère à ses yeux. Quoi qu’il en soit, il fallait bien qu’il fasse quelque chose. Et il n’avait pas le temps de penser au pourquoi du comment. La seule chose qui l’intéressait pour le moment s’était d’assurer leur survie, si jamais cette bête se mettait à fuir, il ne ferait absolument rien pour la rattraper, il le savait pertinemment. Etait-il assez fort pour faire face à une telle monstruosité ? Une question qu’il n’avait à présent plus le droit de se poser, il inspira profondément puis expira tranquillement. Le calme venait tout seul et la joie aussi, il sentait cette puissante énergie montait en lui et le saisir aux tripes. Oui, il allait pouvoir faire face à cette chose, il allait faire face à cette chose ! Survivre n’avait plus d’importance, maintenant il fallait combattre ! Oui… Se battre ! Un souffle chaud monta le long de sa gorge et ses muscles se bandèrent, il oubliait tout ce qui existait, seule comptait à présent le combat. Une chose qu’il avait découverte quelques jours plus tôt seulement. Il regardait la bête avec insistance à présent et la chaleur continuait à monter, un véritable torrent de flamme qui passait dans son sang et dans son souffle. Soudain il laissa entendre sa voix :

"VIENS LÀ !"

La bestiole se concentra sur lui et bientôt jaillit jusqu’à ce qu’il soit à porter de patte. Il frémit… Krall crut qu’il allait hurler de douleur, mais pas un son ne sortit de sa bouche. Le souffle coupé il était incapable de faire part à quiconque de sa souffrance. Affalé au sol il grogna lui aussi et bientôt reçu un nouveau coup qui cette fois l’autorisa à crier. Elle ne semblait pas tout à fait sûre d’elle, mais frappait quand même juste. De toute évidence l’absence de vue ne la déranger pas tant que ça pour frapper. Le mercenaire contracta les muscles en essayant d’oublier la douleur causée par ses blessures et se redressa du mieux qu’il put. Il fallait contre-attaquer alors il allait le faire ! Dans un torrent d’agressivité, il bondit à son tour, armant son bras. Dans la mêlée il oublia totalement la présence de l’arme à sa ceinture et lança son poing contre l’amas de muscle qui constituait la tête de cette chose. Tout en faisant une grimace où se mêlaient le dégoût et la douleur, il fit un pas sur le côté… Les coups qu’il avait reçus lui procuraient tout sauf du plaisir. Il ressentait au mieux l’excitation de la bataille, il était plus attentif au machin monstrueux qui se trouvait face à lui, il se sentait parfaitement en vie. Oui, la douleur lui permettait de garder cette information vitale : il était toujours bien vivant. Mieux encore, l’énergie que lui communiquait son corps lui laissait bien comprendre qu’il était apte à se battre. Et ce même après qu’elle l’ait frappé. Il banda ses muscles au mieux, bien décidé à la frapper de nouveau. L’eau avait transformé le chemin de terre en boue, la scène éclairée par les éclairs avait des allures de conte terrifiant. Alors qu’il était tâché, trempé et blessé, le jeune homme sentait comme un arrière goût de fatalité dans sa bouche… A moins que ça ne soit tout simplement cette étrange impression qu’on a parfois lorsque le monde semble ne plus vouloir de vous. La défaite. Il eût un petit sourire, non… Non, ça c’était avant… Avant qu’il ne commence à se battre. Lorsqu’il cherchait désespérément à être mercenaire et qu’il n’était que le fils d’un forgeron. Maintenant c’était différent, il exerçait vraiment un métier d’arme, en cet instant même il était en train de protéger un client. Un client qu’il considérait presque comme un ami d’ailleurs. Il se lança dans la bataille de toute sa masse et de toute sa hargne, usant de sa nouvelle musculature pour arracher au monstre une part de la victoire. Son poing partit de nouveau en direction du museau déformé de la bête. Le Somte bataillait en faisant preuve d’un maximum de vitesse et de force de frappe. Il voulait mettre à mal cette chose innommable qui s’en prenait à eux. Cette espèce d’animal qui l’avait attaqué et qui risquait d’infliger des blessures autrement plus grave à son compagnon de mésaventure. Il fallait mettre la chose hors d’état de nuire. Il hurla de nouveau, par pur réflexe, poussé par la souffrance, la rage et l’envie guerrière. Il fallait en finir au plus vite avec cette immondice, oui, la tuer ! Comme l’avait dit Delari, une telle insulte aux Dieux ne devait pas pouvoir parcourir le Saint Empire de Kannak impunément ! Il fallait punir une telle abomination !

Krall souffrait véritablement à présent, il sentait son corps lui criait à l’aide. Pourtant rien n’explosait, pas comme auparavant, il ne se sentait pas coupé du monde par la souffrance. Il n’avait pas l’impression que ça ne finirait jamais. Ces derniers mois il avait prit l’habitude de souffrir et d’avoir du mal à penser à ce qui allait lui arriver. Ca avait forgé son caractère et maintenant il se sentait beaucoup moins vulnérable. Oui, il souffrait, mais il pouvait toujours se battre, oui il avait fait un bond en arrière assez incroyable avant d’atterrir sur le dos mais ça n’était pas la fin du monde. Il ressentait toute cette douleur qui engourdissait ses muscles, mais plus il bougeait et plus ça passait. Bientôt il fut debout, bientôt il se retrouva sans aucun problème pour se mouvoir. Il cracha à cause du goût de terre qu’il avait sur les lèvres et regarda la bête. S’il n’avait pas rêvé elle avait semblé désorientée lorsqu’il l’avait frappé la première fois… Il jeta un bref coup d’œil vers le marchand, il avait vraiment l’air mal en point. Il fallait donc en finir au plus vite ! Il sourit, ce simple petit geste lui permettant d’oublier un peu de cette souffrance qu’il ressentait dès qu’il respirait ou qu’il bougeait un peu son torse, de toute évidence la créature lui avait fait très mal. Mais pas assez pour qu’il arrête de se battre, il comprenait à présent que le corps n’était pas le seul rempart contre la défaite. L’esprit avait aussi sa place et de fait, il était volontaire. Il avait depuis toujours voulu faire autre chose qu’artisan, il s’était concentré sur l’idée de devenir mercenaire et à présent il ne voulait rien lâcher ! Il avait encore les poings fermés. Cette saleté lui avait fait mal, elle s’était même attaquer à son ami… Mais elle avait un adversaire coriace face à elle. Sa musculature était à présent mise en exergue par les gouttes qui glissaient entre ses muscles saillants. Il n’était certes pas bien épais mais il avait de la force et du caractère à en revendre. Le bonheur qu’il ressentait à se savoir différent de l’enfant qui autrefois avait peur de son père et n’osait plus rien faire de peur d’être surpris en train d’enfreindre les règles de celui-ci… C’était comme une drogue qui le privait de toutes les souffrances de la bataille. Et ce battement si intense, son corps qui cognait contre sa poitrine, cette énergie qui faisait brûler son souffle. C’était un véritable bonheur, un bonheur où la douleur avait son importance. Oui, les blessures qu’il avait reçues n’étaient qu’une force de plus. Il était à présent à nouveau debout, face à ce monstre. Oui, il était prêt à se battre jusqu’au bout. Dans une sorte de monde flou où plus rien n’était pareil, il se voyait en train d’avancer de nouveau vers le loup pour lui asséner un nouveau coup à la tête. Il était en train d’affronter un monstre qui n’avait rien de naturel, une chose qu’il avait trouvée effrayante et qui à présent lui semblait presque grotesque. Il espérait pouvoir tenir plus longtemps que cette chose, il espérait aussi que celle-ci était seule. Avec toute la force dont il était capable, il la heurta de nouveau, ne se souciant pas de la fragilité de ses mains… Des mains qu’il avait déjà brisées en frappant sur un arbre. Déjà à l’époque son esprit était plus solide que son corps, déjà il était capable d’endurer des évènements qui faisaient céder sa chair.